L’évolution du milieu de travail : ce que le camionnage peut apprendre des erreurs des autres
Mark Murrell
Le 5 mars 2025
« C’est bien d’apprendre de ses erreurs. Il vaut mieux apprendre des erreurs des autres. »
~ Warren Buffett
Le camionnage n’est pas un secteur d’utilisateurs précoces.
Certaines industries fourmillent d’entreprises avides d’essayer de nouvelles choses, mais le camionnage ne fait pas partie de ces pionniers. Évidemment, il y a quelques personnes dans le secteur qui sont plus aventurières que d’autres, mais, dans son ensemble, l’industrie du camionnage est plutôt lente à adopter de nouvelles technologies et des processus d’affaires novateurs. Selon le modèle classique d’adoption de la technologie, décrit dans le célèbre ouvrage Crossing the Chasm (Franchir le gouffre), le camionnage correspond très bien à la catégorie de la « majorité tardive » (late majority).
Ce n’est pas nécessairement une mauvaise chose. Les « utilisateurs précoces » et la « majorité précoce » passent beaucoup de temps à résoudre des problèmes tout en tentant de découvrir le meilleur moyen de réaliser quelque chose de nouveau. Une fois que la majorité tardive rejoint la caravane, la plupart des problèmes ont été réglés, et les avantages promis sont beaucoup moins douloureux à obtenir.
Cela dit, pourvu qu’on sache comment apprendre des erreurs des autres. Les utilisateurs tardifs qui n’apprennent pas des erreurs de ceux et celles qui ont bûché avant eux sont voués à répéter ces erreurs, ainsi qu’à perdre du temps et à traîner derrière leurs concurrents.
Le camionnage, en tant qu’industrie, vient d’atteindre un point où il commence sérieusement à adopter des technologies et des processus d’affaires qui sont pratique courante dans d’autres secteurs. Par conséquent, on peut en apprendre beaucoup sur les meilleurs moyens de mettre ces activités en œuvre, et sur la manière d’éviter les migraines que les autres ont dû endurer.
Dans le billet de blogue de ce mois-ci, nous allons nous pencher sur certaines de ces activités, et découvrir les pratiques exemplaires que nous pouvons apprendre de la part d’autres industries.
La formation en ligne
Lorsque nous avons lancé CarriersEdge en 2005, nous avions déjà passé de nombreuses années à développer des formations en ligne pour des industries comme la finance, l’énergie, et bon nombre d’autres où elles étaient déjà bien établies en termes de formation aux employés. Le camionnage, pour sa part, était très sceptique – à l’époque, on nous répondait fréquemment « les chauffeurs ne savent pas comment se servir d’un ordinateur ».
De nos jours, la situation est tout à fait différente. Dans l’édition de 2025 du programme Les flottes les plus en vue (Best Fleets to Drive For), pour la première fois, le principal moyen de fournir de la formation aux conducteurs était en ligne. Pour plusieurs flottes, il s’agit d’ailleurs du seul type de formation offert aux chauffeurs. C’est toute une évolution.
D’autres industries ont vécu une transformation semblable lorsqu’elles sont passées à la formation en ligne, et ont appris d’importantes leçons en cours de route.
Or, voici la plus importante : trop, c’est comme pas assez. Lorsque la majorité de la formation se fait en ligne, les employés ont tendance à perdre l’intérêt, et le caractère inédit du « n’importe où, n’importe quand » s’estompe. J’ai déjà travaillé dans une entreprise qui avait tenté de transférer en ligne 90 % de sa formation aux employés, et après 6 mois, ce chiffre avait chuté à 60 % parce que le personnel s’était révolté. Trop de formation en ligne ne fonctionnait tout simplement pas.
Nous constatons la même chose dans le camionnage. Actuellement, les chauffeurs se sentent détachés, troublés et anxieux, et avec toute, ou presque toute, la formation offerte en ligne, ces sentiments se détériorent.
Pour réussir en ligne, il faut équilibrer la formation avec des activités en personne, comme en salle de classe ou avec de la pratique concrète. Même si la salle de classe est virtuelle, le processus de rassembler des personnes dans le but d’apprendre s’accorde parfaitement avec le rythme d’apprentissage autonome de la formation en ligne.
(En passant, je suis tout à fait conscient de l’ironie de dire « d’en faire moins en ligne », mais c’est simplement une question d’équilibre.)
Sondages aux employés
Pour les 10 premières années du programme Les flottes les plus en vue, nous disions la même chose tous les ans : « Demandez à vos chauffeurs ce qu’ils pensent; les sondages en ligne ne coûtent pas cher et sont conviviaux, alors distribuez-en. » D’autres industries se servaient déjà régulièrement de sondages auprès des employés pour prendre le pouls et recueillir de la rétroaction, et nous étions persuadés que cela marcherait aussi pour le camionnage. Dans les sept années qui se sont écoulées depuis, les sondages sont désormais monnaie courante dans le camionnage, à un tel point que nous sommes aux prises avec un nouveau problème : une écœurantite de sondages.
Dans les autres secteurs, les entreprises ont découvert que les sondages en ligne étaient un moyen facile d’obtenir de la rétroaction, et s’en servaient de plus en plus. Malheureusement, plus le nombre et la fréquence des sondages augmentent, plus la qualité de la participation baisse – les gens en ont tout simplement assez de répondre à des sondages. À ce point, la cueillette de rétroaction avait trouvé son équilibre – quelques sondages en ligne, mais jumelés à un mélange de communications téléphoniques, d’assemblées de consultation publique, et de réunions informelles pour obtenir de meilleures données, et de façon plus fiable.
Aujourd’hui, le camionnage en est arrivé à une fourche semblable. Avant la Covid-19, les flottes se servaient régulièrement d’appels téléphoniques et d’assemblées pour obtenir l’avis des chauffeurs. Mais la pandémie a fait passer tout ça en ligne, et c’est devenu accablant. Quelques flottes commencent à s’en rendre compte, et ont réduit la quantité de sondages en ligne au profit de communications en personne; donc, en ce qui concerne les sondages en ligne, nous sommes définitivement à un point d’inflexion.
La gestion du rendement
Pendant de nombreuses années, les professionnels de la sécurité des flottes ratissaient toutes les données qu’ils pouvaient afin de différencier les bons conducteurs des mauvais. Les primes trimestrielles étaient typiquement axées sur les collisions, les contrôles routiers, la conformité des carnets de route, et d’autres mesures de base, car c’était tout ce dont on disposait. Les évaluations du rendement des chauffeurs consistaient en discussions sur ces sujets, une ventilation de la prime reçue pour cette période, et ce qu’ils devaient faire pour s’améliorer.
Puis, la technologie s’est pointée.
Une fois que la télématique, les DCE, les caméras-témoins et les cartes de pointage sont arrivés sur la scène, les gestionnaires de la sécurité avaient désormais toutes les données dont ils pouvaient rêver, et une foule d’informations sur les camionneurs les plus performants, ainsi que sur les raisons de leur réussite. Ces cartes de pointage sont de plus en plus accessibles aux conducteurs qui en font la demande, alors la bonne vieille évaluation trimestrielle de prime n’est plus nécessaire.
Cette situation laisse les flottes dans une situation délicate. Pourquoi effectuer une évaluation du rendement avec un chauffeur alors qu’il peut savoir exactement où il se situe, en tout temps?
Dans d’autres industries, cela fait des décennies que des données de rendement plus approfondies existent, les entreprises ont donc pivoté dans une direction complètement différente. Plutôt que de se concentrer sur les statistiques et les chiffres lors des évaluations, elles se sont penchées sur les qualités et les traits qui contribuent aux bons résultats.
Lorsqu’on a une montagne de données qui expliquent le rendement exceptionnel, il est plus facile d’identifier les habitudes de travail, les traits personnels et les qualités liées au comportement associés à ce rendement. Et c’est là que l’évaluation du rendement devient vraiment productive, c’est-à-dire travailler avec les conducteurs pour développer les qualités qui les rendront exceptionnels.
Dans d’autres industries, les évaluations du rendement sont plus axées sur la discussion de ces qualités, la création d’un plan pour les améliorer, et la mesure du progrès par rapport aux plans des trimestres précédents. C’est différent que d’examiner les chiffres purs et durs, mais à long terme, c’est plus profitable.
Et on commence à voir les premiers signes de cette stratégie dans le camionnage. Les données de cette année du programme Les flottes les plus en vue nous ont permis de constater qu’un bon nombre de flottes reconnaissent que l’ancien modèle d’évaluation du rendement ne fonctionnait pas, et quelques-unes d’entre elles sont en train d’essayer quelque chose de nouveau. Très peu pensent « aux qualités et aux traits », mais c’est tout de même la direction que nous prenons. Or, les conducteurs ont un vif intérêt pour ces évaluations, ils souhaitent avoir des discussions pour s’améliorer, et ils veulent définitivement l’avancement de carrière qui en découle.
Il ne s’agit ici que de quelques exemples, mais il y a beaucoup de domaines dans lesquels l’industrie du camionnage commence à adapter des technologies et des processus qui sont déjà établis ailleurs. Examiner comment ces autres industries ont confronté ces défis, et ce qu’elles ont appris en cours de route, peut vraiment aider à mettre sur pied de nouvelles idées sans accrocs. Comme l’a dit l’oracle d’Omaha dans la citation au début de ce billet, il vaut toujours mieux apprendre des erreurs des autres!